Etudiante en lettres classiques, j'avais toujours considéré Plaute comme un auteur ennuyeux. Avec ses pièces qui semblent toutes répéter la même histoire et ses personnages typés de vieux avares et d'esclaves rusés, il ne m'apparaissait qu'à travers les passages choisis des livres scolaires et les traductions sages et légèrement archaïsantes des traducteurs universitaires. Ce n'est qu'à la lecture d'un passage en latin dans un volume d'œuvres complètes que Plaute a cessé d'être pour moi une sorte de sous-Molière préhistorique. L'humour était incisif, d'une grossièreté rabelaisienne, avec des situations poussées jusqu'à l'absurde et une violence insolente dans le langage. J'avais peine à croire que tout cela avait pu être écrit au IIIe siècle avant notre ère, et plus encore qu'il ne soit presque plus joué aujourd'hui.

         Si j'estime que ce théâtre mérite d'exister autrement, ce n'est pas pour l'originalité de ses intrigues, ni pour son engagement en faveur d'une cause quelconque, mais pour les vertus libératrices de son comique. La comédie romaine était un théâtre religieux dont l'efficacité rituelle résidait dans le rire et les applaudissements des spectateurs. Tout au long de la pièce, les personnages ne cessent de s'adresser au public, de solliciter ses réactions, comme pour l'entraîner dans leur univers. Le quatrième mur n'existe pas : la comédie est avant tout un moment de partage entre acteurs et spectateurs dans un espace commun créé pour l'occasion. A une époque où le théâtre prétend souvent instruire ou s'engager, je vois dans la comédie romaine un recentrement du théâtre sur lui-même, sur l'utilité qui lui est propre, et qui consiste à montrer ce que lui seul peut montrer.

         En effet, dans cet univers codifié où évoluent des types de rôles définis à l'avance, avec ces schémas d'intrigues que reprendront plus tard Shakespeare, Molière ou la Commedia dell'Arte, le spectateur n'assiste pas à une pièce réaliste qui offrirait un miroir de son expérience quotidienne. Mais les codes qu'il voit à l'œuvre n'ont rien de mécanique : ils utilisent nos lieux communs, nos représentations du monde, nos clichés. C'est ce que font tous les jours les médias et la publicité pour influencer les consommateurs, avec cette différence que Plaute les donne à voir dans un but purement ludique, les faisant aller jusqu'au bout de leur logique parfois absurde. Il s'agit d'un univers de jeu, où les personnages se déguisent, se prennent au piège et se jouent la comédie. Casina a la particularité de répartir cette dimension ludique sur tous les personnages, y compris les femmes, qui sont ici aux commandes de la machine comique.

          Pour faire vivre un tel spectacle aujourd'hui, l'effort porte donc non seulement sur une traduction vivante, mais aussi sur tout un travail de transposition des codes, afin qu'ils puissent être immédiatement identifiables pour le spectateur contemporain. Loin d'une reconstitution de théâtre à l'antique, il s'agit pour moi de susciter chez le public le même rire que Plaute il y a 2300 ans, en lui offrant l'équivalent, et non la copie, de ce qui faisait rire les Romains. La musique joue là un rôle central, puisqu'elle accompagne de nombreuses scènes, conformément à la tradition du théâtre romain ; composée pour la pièce, la musique est ici en lien étroit avec les personnages et l'action, dont elle permet de varier et d'amplifier les effets.

          Trivial au premier sens du terme (" trivia ", en latin, signifie " carrefour "), Casina se veut un spectacle de mise en commun, un spectacle pour tous, à la croisée des époques et des civilisations. En élaborant son univers propre à partir des représentations humaines, il s'éloigne de toute réalité précise et se fait plus universel, offrant aux comédiens et aux spectateurs un véritable espace de rencontre.

Céline Candiard, metteuse en scène